2002
Dans un monde idéal, corps et esprit pourraient vivre indépendamment. Si c’était le cas je mettrais ma carcasse définitivement au placard. Je refuse même de la regarder dans le miroir. Pour feinter, comme un magicien qui attire votre regard ailleurs, j’adopte un maquillage pseudo-gothique, lèvres vertes, ongles noirs, le coin des yeux violacé qui fait dire à mes profs d’un ton inquiet : tu t’es pris une porte ??
Heureusement ma tête va bien, merci, même si j’ai bien peu de monde avec qui partager. J’écris serré serré dans des petits carnets des anecdotes, des émotions, des ambiances qui deviennent des nouvelles. Que personne ne lit. Que je trouve médiocres.
Je gribouille le coin de mes cahiers, quand je m’ennuie, c’est à dire souvent, car quelle que soit la matière j’ai tendance à faire plus vite et mieux que les autres. Depuis le temps, j’ai appris à ne pas m’en vanter, ce qui me vaut des remarques du genre, j’aurais vraiment pas cru que tu serais première de la classe, tu es plutôt sympa !
Je gribouille un peu plus que dans mes coins de cahier, je dessine trois heures par semaine dans mon cours préféré qu’est l’art plastique. A moins que mon cours préféré soit l’anglais. Ou bien les maths, si faciles. Ou bien l’histoire-géo, où mon professeur remarque dans la marge que je surfe en limite du sujet avec habileté.
Pas le sport en tout cas.
J’angoisse pourtant car je suis incapable de trouver une suite logique à cet emballement académique, aucun cursus dans le supérieur ne me permettra de faire tout ce que j’aime aussi bien que je le voudrais. Je pleure toute seule car je sais depuis longtemps que ce ne sont pas des angoisses que je peux partager avec les garçons et les filles de mon âge.
Je rêve du jour où je prouverai ce que je vaux. Je ne sais pas encore comment, mais je sais que mon heure viendra. Mais je sais que je serai seule jusqu’au bout, mais je ne sais toujours pas qui je suis, mais je ne sais toujours pas ce que je veux, mais le chemin me semble bien long et j’ai seize ans.
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