1993
Je m’ennuie à mourir, dans un trou perdu au milieu de la Picardie. J’essaie de m’intéresser de mon mieux, mais les bonnes mères de famille qui font le cathé prennent mal mes questions – comme si on était censé accepter ce qu’elles racontent sans dire un mot ! Les institutrices aussi n’aiment pas que je me fasse remarquer, d’autant plus qu’elles ont du vrai travail à faire avec les enfants en difficulté, pas avec moi. Moi, je dois rester sage dans mon coin, alors que je bous de pouvoir parler, et rire, et chanter. Alors je lis. En quelques semaines j’ai fini tous les vieux bibliothèque rose de ma mère. J’emporte un Fantômette dans mon cartable le matin et à 11h30 je l’ai fini.
Je meurs toujours d’ennui pourtant, personne ne veut écouter mes histoires, personne ne me laisse jouer ou courir, je deviens hargneuse. La maîtresse refuse d’accepter que je puisse avoir raison et elle tort. Elle refuse d’avoir tort de toute façon – heureusement que mes parents font du forcing et me sortent de là. D’ailleurs l’inspecteur d’académie confirmera, j’aurais dû sauter une classe beaucoup plus tôt. Dans cette nouvelle classe où je suis « la petite », les autres ne m’aiment pas mais je me sens beaucoup mieux, il y a tant à apprendre.
En quatre mois je passe en tête du classement (oui il y a encore des écoles primaires en France où l’on fait un classement, et des instits assez fous pour en faire un outil pédagogique), j’ai les félicitations du jury à mon premier examen de clarinette, j’ai le rôle principal dans la pièce du club de théâtre mais peu importe, ce qui me rend le sourire c’est d’avoir lu et relu l’intégralité des livres de l’Ecole des Loisirs disponibles à la bibli, même ceux auxquels je n’ai pas droit, et que je relirai encore et encore des années après, et que je refilerai à ma sœur qui les aimera autant que moi.
Et dans ma tête je suis Supersheila et je suis Nils Hazard, je suis un enfantastique et je suis Laura Ingalls, je suis le Bon Gros Géant et j’ai sept ans.
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