L'odeur des pins
Quand on s'apprête à mettre sa vie française en pause pour un an, on n'a pas vraiment de raisons de commencer de grands projets. Cet été se compose donc de 3 "activités" principales : prendre des vacances au soleil, les premières depuis 4 ans, revoir ce que j'ai déjà appris de Japonais, et attendre. Attendre que les démarches administratives suivent leur cours, attendre que se rapproche le jour du décollage.
Depuis une semaine mes journées suivent ainsi une routine sans remous.
Réveil. Muesli-pêches-jus d'orange au bord de la piscine. Révisions des leçons de la veille en caressant un chat plein d'indifférence. Ballades.
Déjeuner (le grand jeu de l'été consistant à jouer à la roulette russe avec les piments du jardin, car les plants n'ont pas été étiquetés et certains portent des piments d'Espelette, doux, les autres des piments de Cayenne, carrément plus méchants. Ca met un peu de piquant dans le quotidien).
A l'ombre, en compagnie de ma théière et de ma crème indice 40, travail d'une nouvelle leçon : listes de vocabulaire, règles de grammaires, lignes d'écriture. Je réponds à voix haute aux pages d'exercices face à un chat que ça n'intéresse visiblement pas.
A partir de 16 heures, baignade et lecture sous le soleil qui décline. J'ai la chance d'avoir une soeur prévoyante qui ne quitte pas sa chambre sans emporter de la lecture pour plusieurs semaines, et qui en l'occurence
m'a prêté du Terry Pratchett. Je glousse sur mon transat' face à un chat qui n'en a apparemment rien à faire.
Et puis douche, dîner, internet.
Parfois je ferme les yeux et je respire les pins chauffés au soleil, la lavande et la note lointaine d'un eucalyptus. Parfois, coincés entre les pages de mon manuel de Japonais, je retrouve un ticket de caisse de WalMart ou un petit mot d'une amie - I went to the library, I'll grab something to eat on the way. See you there!
Je pourrais alors me croire il y a deux ans, pendant mon été Californien. C'est vrai que je n'avais pas ré-ouvert ces livres depuis le long hiver où j'attendais que l'Homme de l'Est me rappelle. C'est vrai que je n'avais pas senti l'odeur de la résine pendant ces 2 dernières années.
Avec ma manie des allers et retours aux quatre coins du monde, j'ai l'habitude de mettre ma vie en pause. Mais cette fois-ci est venue s'ajouter à l'attente l'impression bizarre d'être un bateau sans amarres. Je pourrais en avoir le vertige, mais c'est simplement étrange. Avec la fin de mon adolescence est survenu un brusque basculement de mon système de valeurs, de mes repères, de ma façon de voir le monde. Alors oui, Palo Alto 2005, ça pourrait être maintenant, mais c'est aussi tellement loin. Retrouver ce qu'a été ma vie jusqu'à présent me donne la même sensation mi-nostalgique, mi-amusée que relire un journal intime tenu à 12 ans ou une nouvelle trash écrite à 16. Ca a été moi, ca n'est plus moi.
Les gens me demandent ce qui va me manquer de la France et j'ai bien du mal à leur répondre. Ceux que j'aime sont éparpillés, il y en a toujours quelques-uns qui me manquent, où que je sois. Du fromage, du saucisson je ne saurais pas quoi faire. La musique, ce qui n'est pas sur mon disque dur est dans ma tête. A une époque j'aurais souffert de n'avoir mis dans ma valise ni Beigbeder, ni Despentes - et je découvrais alors Bret Easton Ellis, Joan Carol Oates ou Ryû Murakami. Mais je suis aujourd'hui à un moment plus tranquille et plus serein, et n'ai pas encore trouvé de quoi me mettre sous ma nouvelle dent de lectrice (ceux qui sont tentés de répondre Marc Levy iront s'expliquer avec Gwendoline!) Même si je suis bien contente de savoir enfin qu'on peut se voir d'un regard critique sans en mourir dans l'instant, et de m'être désencombrée d'un tas de choses inutiles, je suis un peu désemparée devant l'étendue des possibilités devant moi. Qui suis-je, puisque je me suis débarassée de tout ce qui me définissait il y a quelques années? Ce qu'il reste, sans doute. Des souvenirs, des amis, quelques mots, de la musique. Des odeurs.
Le reste, j'ai encore bien 60 ans - moyenne nationale - pour le découvrir.
Japon moins 5 semaines.
Ce soir je vais à l'opéra.
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