Inventaires - Genèse
J'ai mis en mots pour la première fois ma manie des inventaires en terminale, par le biais de mon cours d'arts plastiques. Pour la première année, les élèves choisissaient librement l'axe qu'ils donneraient à leurs travaux et devraient argumenter leurs choix pendant un oral. Fidèle à ma méthode de l'époque, qui marche toujours aussi bien d'ailleurs, j'ai choisi de faire ce qui me parlait et de chercher une cohérence plus tard. 9 mois plus tard, j'avais retenu 3 travaux et décidé que mon thème serait l'identité.
Le premier travail consistait en une série de textes et de petites peintures. Pour chaque texte, j'avais demandé à une personne de ma connaissance de me raconter une de ses nuits blanches (et à 17-18 ans, on commence tout juste) que je notais sous sa dictée. Je mettais ensuite son histoire en parallèle avec une peinture de nuit la plus abstraite possible.
Quand on a 17 ans, qu'on commence à passer des nuits dehors, à avoir un amoureux, à faire la fête plus de 6 heures d'affilée, on a l'impression que nos nuits blanches sont incroyablement audacieuses. On sent aussi que ces moments sont hors du monde, coupés du reste de notre vie normale.On a l'impression de commencer à vivre, enfin.
Et pourtant, en lisant ces textes, aux tics de langage près, il était impossible de deviner leur auteur. En voulant trop affirmer son identité, on se coule forcément dans un moule, on devient un cliché.
Le second travail était un journal intime (fictif) écrit par une fille d'une douzaine d'années. Encre rose, petits ronds sur les i, autocollants à paillettes, la totale. En parallèle était présentée une série de photos supposées représenter l'univers associé - bibliothèque, bibelots, le contenu d'une armoire, un lit. (Bon OK C'EST VRAI j'avais regardé Virgin Suicides scène à scène et en avais retiré, euh, une forte inspiration)
L'idée étant la suivante : quand on retrouve son vieux journal intime 5 ans, 10 ans, 30 ans plus tard, est-on toujours la même personne? Les lignes que nous avons écrites, un autre aurait-il pu les écrire? Qu'a-t-on encore en commun avec l'adolescente qui écrivait inlassablement MATHIEU JTM au stabylo rose dans son agenda?
Le troisième travail, celui qui m'a pris le moins de temps, celui qui a continué pourtant à me faire réfléchir un bon moment, était une installation étendue mais discrète dans ma ville. Aux endroits où je passais le plus régulièrement, j'avais collé des pages qui auraient pu venir de mon journal intime (réel cette fois). Lire une page faisait découvrir au lecteur un peu de moi-même. Pour avoir un portrait plus complet, il fallait lire toutes les pages... mais leur disposition était alors plus parlante que leur contenu. Aurait-il été possible que quelqu'un qui n'est pas moi ait exactement le même parcours que moi, dans la ville?
Cette réflexion m'a laissé une certaine fascination qui me frappe encore de temps en temps. L'autre jour, en mettant à jour ma page Netvibes, je me demandais à quel point une personne aux lectures semblables aux miennes me ressemblerait.
Mon blog présente très peu d'informations considérée comme personnelle. Il ne dit pas mon nom de famille, ma profession, là où j'étudie, il ne dit pas si je suis célibataire, amoureuse, il ne dit pas ce que je fais de mes nuits blanches. Il dit en revanche ce que j'écoute, ce que je lis, ce qu'il y a dans ma bibliothèque, le thé que je bois au petit déjeûner et montre le contenu de mon sac à main. Lequel est l'essentiel, lequel est l'accessoire?
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