11.11.2007

Ce serait du gâchis

Mottainai - la première fois que cette expression a été mentionnée en classe, le prof a tenté de nous la faire utiliser. Alors que je cherchais dans le registre écologie, : "Y a-t-il eu des moments où votre vie a été mottainai? Par exemple, une jolie fille vous a laissé son numéro de téléphone et vous ne l'avez jamais rappelé?" Euh...




A quel âge veux-tu te marier
? me demande Mami-chan, ma soeur d'accueil. Eh bien, pas spécialement tôt, et surtout en accord avec l'homme concerné. Moi, je veux me marier avant 25 ans, me précise-t-elle. Aujourd'hui elle en a 23. Pas de temps à perdre, donc. Alors nous allons ensemble visiter un temple dédié à la déesse des relations amoureuses. Après quelques minutes de marche dans la forêt, après les portes principales, nous atteignons une petite mare. Il faut y poser sa phophétie accompagnée d'une pièce de 10 yen et chronométrer le temps qu'elle met à couler. Lorsque celle de Mami-chan coule après à peine 5 minutes, les autres filles présentes l'applaudissent. おめでとう ございます! Félicitations, ton mariage est pour bientôt. Ma propre feuille coulera quelques secondes plus tard.



Les prophéties que vend ce temple sont écrites à l'encre blanche et n'apparaissent que lorsque la feuille est en contact de l'eau. Celle de Mami-chan lui conseille de rester avec son amoureux actuel. Tant mieux pour ses projets. Elle me traduit la mienne : "You will get lucky soon and should look North or West". Tiens, tiens.



L'empressement des Japonais à éviter le gaspillage ne s'exprime pas que dans les relations aux autres. Ma mère d'accueil, Junko-san, m'invite à participer à son atelier de travaux manuels hebdomadaire - cette semaine, tissage à base de vieux vêtements. A passer nos soirées sous le kotatsu plutôt que de pousser le chauffage dans une maison pleine de courants d'air. A utiliser le bouillon dans lequel ont cuit tofu, champignons et chou pour parfumer le riz. A faire le soir la "chasse aux lucioles", soit traquer et éteindre toutes les veilleuses de nos appareils électriques. Ne parlons même pas du tri sélectif et des transports en communs omniprésents. Junko-san s'étonne d'apprendre qu'on respire mieux en banlieue de Tokyo qu'en banlieue parisienne. Elle ignore peut-être que les 3 R (réduire, recycler, réutiliser) rabâchés par tous les hippies du monde ont été diffusés mondialement par une Japonaise, et que l'expression mottainai a été adoptée telle quelle par l'ONU, faute d'une traduction juste.

Plus tard dans la semaine, j'apprends au détour d'une conférence que beaucoup d'entreprises Japonaises, pourtant réputées pour leur avance sur le reste du monde en management de la qualité, refusent d'appliquer le principe de Pareto et traitent tous les problèmes, toutes les améliorations possibles sur un pied d'égalité. Ce qui semble une perte de temps absurde aux Européens est en fait une tentative de se rapprocher du zéro défaut. Puisqu'on qu'on veut éliminer toutes les imperfections, il faudra s'attaquer tôt ou tard à celles qui sont peu fréquentes, alors autant s'y mettre maintenant. Surtout qu'éliminer des imperfections rares peut être plus facile, rapide, bon marché que d'éliminer celle qui cause 80% des problèmes, alors pourquoi s'en priver? Pourquoi la remettre à plus tard?

On ferait bien d'y penser aussi dans notre vie de tous les jours. Parfois, j'aimerais que mes interlocuteurs comprennent cet mentalité quand j'expose mes raisons pour être devenue végétarienne. Réduire la souffrance de ceux qui peuvent souffrir, limiter mon impact sur l'environnement, mais il y a de plus gros problèmes, non? Il y a de meilleurs noyens d'y arriver, non? Et alors? En quoi les bonnes actions seraient-elles mutuellement exclusives? Au nom de quoi devrais-je renoncer à mettre en application la plus simple d'entre elles, celle qui consiste bêtement à commander mon tempura sans crevettes et à préférer le tofu au McPork?

(un dernier tout petit mot sur le sujet, et après j'ai fini de vous embêter : Novembre c'est VeganMoFo, allez au moins y jeter un coup d'oeil)



"Une fois que tu seras une vraie hippie, que feras-tu?" me demande-t-il, alors que nous passons un samedi paresseux, dans un onsen sous la pluie. Bonne question. Devenir maître de monde, je réponds, mais la question demeure. Me sera-t-il seulement possible de vivre en parfait alignement avec mes valeurs, toutes mes valeurs? Pour atteindre le zéro défaut, quels sont les tout petits problèmes que je refuse de voir? Quels sont les gros problèmes auxquels je refuse de m'attaquer? Remettre constamment sa vie en question est le seul moyen de la mener de façon satisfaisante, mais ca peut être épuisant parfois.

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